La preuve de la propriété d’actions est un sujet récurrent
en droit des sociétés. Cela peut sembler étrange en soit, car techniquement
rien ne paraît plus simple que de prouver que l’on détient des actions :
on investit dans une société en mettant à sa disposition de l’argent (apport en
numéraire) ou des biens matériels (apport en nature) et l’on reçoit, en
rémunération de cet apport, des actions émises par la société. Dans quel
contexte quelqu’un pourrait-il contester notre légitime propriété desdites
actions ?
Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 11 janvier
2018 (CA Paris, 11 janvier 2018, n°16/10056) nous
donne une bonne illustration du type de conflit qui peut émerger au sujet de la
propriété d’actions. Cette affaire oppose Monsieur X, propriétaire apparent d’actions
d’une société anonyme, à Madame Y qui prétend être en réalité propriétaire des actions inscrites dans les comptes de la
société anonyme au profit de Monsieur X. Afin de prouver qu’elle détient la
propriété desdites actions, Madame X produit un document intitulé « ordre de mouvement de titres »
signé en sa faveur par Monsieur X. Ce dernier conteste la régularité de l‘ordre
de mouvement. Selon lui, ce document a été établi en vue d’une éventuelle
cession ultérieure, et a été rempli et daté par Madame Y elle-même. Se pose
alors la question de la preuve de la propriété des actions.
Le régime de preuve de propriété d’actions spécial édicté par le Code de commerce et le Code monétaire et financier
Le régime de preuve de propriété d’actions spécial édicté par le Code de commerce et le Code monétaire et financier
Le Code de commerce et le Code monétaire et financier
établissent ensemble un régime spécifique relatif à la preuve de la propriété d’actions
reposant sur deux piliers :
- L’établissement d’un ordre de mouvement ; et
- L’inscription de la cession sur le registre de mouvements de titres de la société émettrice ainsi que dans les comptes d’actionnaires.
Tout d’abord, qu’est-ce
qu’un ordre de mouvement de titres ? Il s’agit d’un document très succinct,
tenant sur deux pages, qui retrace une opération de cession d’actions. Ce document
identifie:
- L’identité du propriétaire qui cède ses actions (le cédant) ;
- L’identité de la personne qui acquiert lesdites actions (le cessionnaire) ;
- Le nombre d’actions cédées ; et
- L’identité de la société émettrice desdites actions.
Toutes les cessions d’actions sont assorties de leur ordre
de mouvement. Cette obligation en elle-même n’est pas posée par le Code de
commerce, mais résulte d’une exigence de l’administration fiscale. En effet, une
fois la cession réalisée, le cessionnaire devra procéder à l’enregistrement de
la cession auprès de la recette des impôts. Pour cela il produira l’ordre de
mouvement établi en son nom.
En ce qui concerne la retranscription
de chaque cession d’actions de la société émettrice dans le registre de
mouvements de titres de cette dernière, cette règle est posée par l’article
L. 228-1 du Code de commerce (par renvoi aux articles L. 211-3 et L.211-4 du
Code monétaire et financier) : « […] Ces
valeurs mobilières, quelle que soit leur forme, doivent être inscrites en
compte au nom de leur propriétaire, dans les conditions prévues aux
articles L. 211-3 et L. 211-4 du code monétaire et financier. »
Ainsi, le Code de commerce édicte une règle spécifique :
c’est à compter de la date d’inscription en compte dans les registres de la
société émettrice que le transfert de propriété des actions s’opère.
Par ailleurs, l’article L. 211-16 du Code monétaire et
financier énonce la règle suivante : « Nul ne peut revendiquer
pour quelque cause que ce soit un titre financier dont la propriété a été
acquise de bonne foi par le titulaire du compte-titres dans lequel ces
titres sont inscrits. »
Cette règle est
appliquée de manière constante par les tribunaux français, et notamment par la juridiction
judiciaire supérieure française, la Cour de cassation, depuis 1997 (Cass. Com.,
10 juin 1997, n°95-16.235) « faute d’inscription des titres cédés,
aucune présomption de propriété ne peut être retenue ».
Nous avons donc ici deux règles fondamentales:
- Les cessions d’actions doivent être retranscrites dans le registre des mouvements de titres et dans les comptes d’actionnaires des actionnaires concernés par la cession ; et
- La retranscription de la cession dans le registre des mouvements de titres et l’inscription de la cession dans les comptes d’actionnaire fonde une présomption de propriété des titres.
Une question se pose alors : quid de l’absence de
retranscription dans le registre des mouvements de titres et d’absence d’inscription
de la cession dans les comptes d’actionnaire ? Comment prouver que l’on
est propriétaire des actions ?
Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation
en date du 5 mai 2009 (Cass. Com., n°08-18.165) apporte une réponse à ce qui
peut sembler une impasse. En effet, en cas d’absence d’inscription et de
retranscription en comptes d’une cession de titres, les juges acceptent de
reconnaître un droit de propriété en faveur d’une partie si cette dernière
prouve qu’elle est en possession de ces actions de bonne foi. Les juges font
ainsi application du régime général de la preuve de la propriété édicté par le
Code civil.
La portée de la contestation de la régularité d’un ordre de mouvement sur la preuve de la propriété d’actions
La portée de la contestation de la régularité d’un ordre de mouvement sur la preuve de la propriété d’actions
Comme nous l’avons vu précédemment, la production d’un ordre
de mouvement spécifique à chaque opération de cession d’action est une
formalité imposée par l’administration fiscale. Toutefois, cette opération revêt
une grande importance pour la validité de l’opération de cession, car en
pratique, les retranscriptions de cessions sur le registre de mouvements de
titres d’une société et sur les comptes d’actionnaires de cette dernière seront
faites sur la base des ordres de mouvement. Ainsi, une personne peut toujours
tenter de prouver sa légitime propriété d’actions en produisant un ordre de
mouvement de titres signé et établi en sa faveur.
Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 janvier 2018,
Monsieur X, propriétaire apparent des actions, conteste la validité de l’ordre
de mouvement produit par Madame Y. La Cour d’appel de Paris en profite pour
rappeler la règle suivante : seule
l’inscription en comptes d’actionnaires et sur un registre de mouvement de
titres pose une présomption forte de propriété. En revanche, la production d’un
ordre de mouvement de titres n’est pas suffisante pour présumer de la légitime
propriété d’actions, en particulier lorsqu’un doute plane sur la validité dudit
ordre de mouvement de titres.
S’il y a bien une chose à retenir, la voici : lorsque
vous vous portez acquéreur d’actions, assurez-vous que cette opération est bien
retranscrite dans les registres et comptes d’actionnaires de la société. Une fois
l’opération de cession réalisée, demandez toujours une copie des comptes d’actionnaires
et du registre des mouvements de titres de la société en question. Cela vous
permettra de parer à toute contestation quant à votre droit de propriété sur
ces actions !
Marianne Zwobada
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