En raison d’un projet de loi du gouvernement visant à réformer la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), les cheminots ont annoncé un mouvement social qui durera deux jours sur cinq du 3 avril au 28 juin.
Cette cessation de travail des cheminots aura inévitablement pour conséquence de paralyser le traffic ferroviaire. Trains annulés, retardés, sur-réservés, répercussions sur le traffic routier, tout cela participe au mécontentement des usagers de la SNCF. Ces derniers devront subir les répercussions de cette grève et ressentent un sentiment d’injustice: après tout, ce ne sont pas eux qui ont voté le projet de loi visant à réformer la SNCF, source des revendications des cheminots.
A la vue du calendrier des grèves, qui s’étale sur 3 mois de début avril à fin juin à un rythme soutenu (deux jours sur cinq), l’indignation de l’opinion publique grandit. Les cheminots ont-ils le droit de paralyser le service public de transport ferroviaire et infliger un tel calvaire à ses usagers pendant une si longue durée?
Revenons sur les fondements et les conditions juridiques de l’exercice du droit de grève.
Un droit encadré
Le droit de grève est un droit fondamental en France, consacré par le Préambule de la Constitution de 1946. Pourtant, ni la Constitution ni le Code du travail, qui contient des dispositions relatives au droit de grève, n’en donnent une définition.
C’est la chambre sociale de la Cour de cassation qui s’en est chargée en définissant la grève comme une cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles dont l’employeur a eu connaissance.
Plusieurs conditions d’exercice du droit de grève se dégagent de cette définition.
Si ces conditions ne sont pas remplies, la grève est illégale et il s’agit d’une exécution fautive du contrat de travail.
Une cessation complète du travail
Pour qu’il y ait grève, il faut que les salariés cessent totalement de travailler pendant une certaine durée. La durée de l’arrêt de travail n’a pas d’importance: il peut s’agir d’une cessation d’une minute, d’une heure, d’une semaine ou illimitée, peu importe, tant que les salariés cessent totalement toute activité.
De même, la grève peut consister en des arrêts de travail répétés et de courte durée, tant que cela n’entraîne pas une désorganisation de l’entreprise.
Enfin, la grève doit intervenir pendant un temps de travail effectif, c'est à dire qu’elle ne peut pas intervenir pendant les pauses par exemple.
Les cheminots prévoient de faire grève pendant deux jours sur cinq à partir du mois d’avril jusqu’au mois de juin. Bien qu’il s’agisse d’une durée très longue, elle s’inscrit parfaitement dans les règles encadrant le droit de grève.
Un mouvement collectif et concerté
Pour faire grève, il faut être au moins deux. La décision de cesser le travail doit provenir d’une intention commune.
En revanche, si l’entreprise ne compte qu’un seul salarié, ou si le salarié est le seul à répondre à un mot d'ordre national qui dépasse le simple cadre de son entreprise, la grève peut être conduite par un seul salarié.
Des revendications d’ordre professionnel
L’exercice du droit de grève suppose que les salariés font valoir des revendications d’ordre professionnel.
Par exemple, ces revendications peuvent porter sur la rémunération (à savoir le salaire et les accessoires), les conditions de travail ou la défense de l’emploi (par exemple la contestation d’un plan de restructuration de l’entreprise).
Les cheminots font grève pour protester contre le projet de réforme de la SNCF. Le projet de loi, présenté le 14 mars, prévoit de transformer le statut juridique de la SNCF, en la transformant en société anonyme et en abandonnant le statut de cheminots à l’embauche.
Actuellement, la SNCF est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Initialement, ce statut était destiné à assurer la gestion d'une activité de service public régie par le droit privé, avec plus de souplesse qu'une administration ne saurait le faire.
Transformer la SNCF en société anonyme a pour conséquence de permettre l’ouverture à la concurrence et de se conformer aux exigences européennes.
Abandonner le statut des cheminots aura des conséquences importantes sur les conditions de travail de ces derniers. En effet, le personnel de la SNCF bénéficie d’un statut particulier. Sauf faute professionnelle, ils ont la garantie de l’emploi à vie, une Sécurité sociale et une retraite plus avantageuses, ainsi que la gratuité sur le train (et des tarifs avantageux pour certaines personnes de leur famille).
L’information de l’employeur
Les revendications doivent être présentées à l’employeur, au plus tard au moment de la cessation du travail. Elles peuvent être présentées par voie orale ou par voie écrite, notamment électronique. L'essentiel étant de pouvoir apporter la preuve, en cas de contestation, que l'employeur a bien pris connaissance des revendications au moment de l’interruption de travail.
Le respect d’un préavis, condition supplémentaire dans le secteur public
Dans le secteur public, l'exercice du droit de grève doit obligatoirement être précédé du dépôt d'un préavis émanant de l'organisation ou d'une des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national, dans la catégorie professionnelle ou dans l'entreprise, l'organisme ou le service considéré. Il en résulte que le préavis déposé par des salariés ou un syndicat non représentatif rend le mouvement illégal.
Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l'autorité hiérarchique ou à la direction de l'établissement, de l'entreprise, de l'organisme ou du service intéressé. Ce délai permet non seulement d'organiser la poursuite de l'activité mais également de tenter d'éviter le conflit en engageant la négociation.
Ce préavis doit mentionner les motifs du recours à la grève; le lieu et la date ; l'heure du début de la grève ainsi que la durée, limitée ou non, de la grève envisagée.
L’obligation d’assurer un service minimum
Il n'existe pas, en droit français, d'obligation générale d'assurer un service minimum.
Cependant, cette obligation de service minimum a notamment été dégagée dans le secteur public sur le fondement du droit à la continuité du service public. Concernant le secteur des transports, ce droit a été renforcé par une loi de 2007, qui reconnait aux usagers des transports le droit à la continuité du fonctionnement du service et par conséquent, de l'accessibilité et de l'utilisation de l’ouvrage en cas de perturbation prévisible du traffic.
En conséquence, la SNCF sera tenue d’assurer qu’au moins un tiers des trains roulent durant les heures de pointe.
En conséquence, la SNCF sera tenue d’assurer qu’au moins un tiers des trains roulent durant les heures de pointe.
Les effets de la grève: un salarié protégé, mais non rémunéré
La protection du salarié
L’exercice du droit de grève a pour effet de protéger le salarié. Durant l’exercice du droit de grève, l’employeur ne peut pas licencier le salarié, sauf faute lourde, et ne peut pas lui prononcer de sanctions. Tout licenciement prononcé durant la grève en l’absence de faute lourde du salarié est nul.
Pour caractériser la faute lourde et prononcer le licenciement, l’employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l’exercice normal du droit de grève ou un comportement fautif ou délictueux pendant la grève. Par exemple, l’employeur qui bloque l’entrée de l’entreprise et empêche les non-grévistes de travailler, entravant ainsi leur liberté de travail, commet une faute lourde justifiant un licenciement.
Si les salariés se placent en dehors de l’exercice normal du droit de grève et que la grève devient abusive, ils ne peuvent plus bénéficier de la protection contre le licenciement ou les sanctions. L’abus est toutefois difficile à caractériser, dès lors que ce n’est que si la grève entraîne ou risque d’entraîner la désorganisation de l’entreprise qu’elle dégénère en abus, alors que, par définition, la grève a nécessairement pour objet la désorganisation de l’entreprise…
L’absence de rémunération
Durant l’exercice de son droit de grève, le salarié ne travaille pas. Par conséquent, il ne perçoit pas de rémunération. De même, la période de grève n’est pas assimilée à un temps de travail effectif pour le calcul des congés payés.
Clara Paetzold
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